16 octobre 2008

Chronique du tigre et du canard

Au bonheur des mots de Claude Gagnière est un gros livre qui a des allures de petite malle au trésor. Contrairement aux apparences, ce n'est pas un dictionnaire ; l'ordre alphabétique n'est utilisé que par convention. Ou par mauvaise habitude. Car ce livre là est fait pour se laisser butiner, être feuilleté de ci, de là, par petits coups d'une curiosité jamais satisfaite. Je ne suis pas près de le rendre à son légitime propriétaire...

Son sous-titre parle de lui-même : "Encyclopédie souriante et irrévérencieuse de la culture et des lettres françaises, à l'intention des esprits peu chagrins soucieux d'enrichir leurs connaissances sans pour autant s'ennuyer."

Tout un programme.

Des vers, des anecdotes, la petite et la grande Histoire, des sigles, des expressions, les mots de la fin des hommes célèbres, des chiffres, de fausses citations et de vraies coïncidences, on trouve un peu de tout dans ce bouillon de culture.

On apprend ainsi que l'anagramme de Pierre de Ronsard est Rose de Pindare, que hypocrite vient du grec hupokrites qui signifie acteur, et que Jean-Baptiste Lully est mort de s'être donné un coup de canne sur le pied. On trouve quelques dictées, des centenaires en pagaille, des étymologies, la liste des premiers académiciens Goncourt, des faire-part, des mariages ; on découvre, avec un sourire croissant, qui s'est terminé pour moi en crise de rire, la liste des surnoms dont furent affublés quelques amiraux.

Ou bien encore pourquoi Le canard enchaîné s'appelle comme ça : c'est la faute de Clémenceau.
En ce temps là c'était la guerre, la grande, celle que préférait Brassens, celle de quatorz'-dix-huit, et un autre Georges, que d'aucuns surnommaient le tigre parce qu'il avait de grosses moustaches parce qu'il préférait Rocky III parce qu'il avait fondé les brigades du même nom, dirigeait un journal nommé L'homme libre.

L'homme libre dénonçait l'incompétence du gouvernement et de l'état-major dans la conduite de la guerre. De 1914 à 1916, nombre de ses articles furent donc coupés par les délicats ciseaux d'Anastasie. Le tigre, la moustache frémissante, rebaptisa donc son journal "L'homme enchaîné" en guise de protestation. Il pensa un peu faire une grève de la faim, mais finalement non.

Mais en 1917, le président Poincaré, qui était dans sa période fauve, accorda les pleins pouvoirs à Clémenceau pour la conduite de la guerre. Allait-il abolir la censure ? Bien sûr que non. "Vous me prenez pour un c... ?" répondit-il aux naifs qui lui osèrent lui poser la question.

Son journal redevint L'homme libre, se mit à appuyer la politique du gouvernement (de son propriétaire donc), et Le Canard enchaîné créé depuis 1915 par Maurice et Jeanne Maréchal proclama qu'il ne deviendrait Le canard libre que le jour où son directeur serait nommé président du conseil...

Il attend encore.

***

2 commentaires:

  1. A propos du "Canard enchaîné", je suis toujours étonné qu'on prenne cet hebdo satirique pour uniquement quelque chose d'amusant, de rigolo voire de primesautier.

    Or il s'agit d'un véritable journal d'investigation (Edwy Plenel aurait pu y travailler, mais on y retrouve, après la dernière "réorganisation", certains journalistes de "Libé").

    On connaît la liste des "affaires" révélées par "le palmipède", et on peut être sûr qu'il y en aura encore quelques-unes dans les mois à venir...

    Vient de paraître : "La Ve République en 2000 dessins"(Les Arènes), vue par "Le Canard enchaîné" (voir "Libé" du 16/10), pub gratuite.

    RépondreSupprimer
  2. C'est justement parce que j'ai bien conscience que Le canard n'est pas primesautier que j'évite de le lire trop souvent... c'est bien trop démoralisant.

    RépondreSupprimer

Le formulaire qui apparaitra suite à votre commentaire est destiné à vérifier que vous êtes bien un être humain. Si vous avez quelque chose à dire, allez-y ! Si vous êtes un robot, bonne chance pour le test =)